Un éclaircissement sur "Robert Président"

Publié le par Laurent Kiefer

Quel paresseux je fais... Ce blog est classé "0", nul, non avenu. Bassesse.

Au cours du mois de juin, six spectacles amateurs ont été créés, dont je signais la mise en scène, parfois l'écriture, parfois même un peu d'interprétation.

L'un d'entre eux, "Robert Président", n'a pas eu l'heur de plaire à une élue de l'opposition (UMP) de Calas, où la pièce était jouée.

On trouvera sur
http://cabricabrac.over-blog.com/article-33485063-6.html
l'intégralité de l'article en question, d'autre part éclairant sur la vie culturelle très riche de la commune de Cabriès.

Je cite l'extrait me concernant : " Pour le théâtre, on m’a dit le plus grand bien de la pièce interprétée par l’association L’Aparté « Je veux voir Mioussov » mais je ne peux en dire davantage. La pièce de Laurent Kiefer (très présent dans la programmation d’Entr’acte) ne cache pas ses intentions. Une pseudo parodie du pouvoir actuel, rouleau compresseur de clichés et de facilités langagières, servie par une interprétation et une mise en scène en chantier. Il est vrai que je venais de voir la pièce parfaitement chevillée de Georges Feydeau, au théâtre de l'Odéon, La Dame de chez Maxim, mis en rythmes trépidants par l’époustouflant Jean-François Sivadier et interprétée par Norah Krief, remarquable Môme Crevette, à la trogne chafouine. La comparaison n'est pas de mise ! "

Bref, j'ai déplu. Honte à moi. Voici la réponse que j'ai formulée à Mme Hélène Martin.



" Chère madame Martin,

Je compulse régulièrement votre blog car, bien qu’étant aixois de résidence, une grande partie de mes activités professionnelles (et de mes amitiés) se situe à Calas. Il me plaît donc de m’informer des nouvelles de la commune par le biais de votre travail, dont je salue l’assiduité et la pluralité thématique.

Je me permets de réagir à votre article pour les raisons simples que j’y suis cité et que vous abordez une problématique très intéressante : celle de l’offre culturelle en regard de la fréquentation du public. Nos avis se recoupent et divergent tout à la fois.

Vous déplorez l’absence relative du public lors des ces Rencontres. Sans me targuer (précaution qui nous est commune) d’avoir assisté à l’ensemble des représentations, je crains que nous n’ayons pas la même perception en termes de fréquentation. Ou bien ai-je été par hasard présent les soirs où le public se trouvait au rendez-vous, à l’inverse de vous ? Par exemple, le soir où les élus nous ont honoré de leur présence, vous n’y étiez pas, c’est jouer de malchance, n‘est-il pas ?

Vous tirez de cette constatation de succès mitigé (ponctuée par quelques photographies dont vous admettrez qu’on peut leur faire dire tout et son contraire, comme à toute image), qu’une vingtaine de représentations de spectacle vivant était peut-être trop proposer au public de la commune. Une précision en passant : vous évoquez huit représentations la saison passée (2008), je crains que vous ne fassiez erreur. Peut-on proposer « trop » ? Peut-on « trop » offrir en matière de diversité culturelle ? Le public de la commune n’était peut-être pas présent à toutes les représentations (il leur arrive, tout comme à vous et moi, de faire autre chose de leurs soirées), il a eu cependant un choix certain. Le choix est toujours préférable à la pénurie – de mon point de vue du moins.

D’autre part, vous savez tout comme moi que la majeure partie des spectacles sont des représentations d’ateliers de pratique amateur. S’interroger sur une offre « trop » abondante en matière de spectacle vivant, revient-il à déplorer le dynamisme associatif de la commune ? Espérez-vous d’autre part que le public de ces spectacles dépasse de beaucoup le cadre des parents et amis ? C’est un peu utopique, je pense…

Revenons à la fréquentation qui nous tient à cœur : QUI est le public de la commune ? Etes-vous bien persuadée d’en connaître chaque « visage » ? Le concert de l’Atelier du Possible par exemple – excellemment ficelé, interprété et accueilli (une remarque en passant : où avez-vous vu que le Rock des années 70 n’était pas inscrit dans un contexte de crise économique ?) – ce concert, donc, a été apprécié par beaucoup de personnes de la commune, vous aurez mal observé ; et par des personnes certes étrangères à Calas-Cabriès, mais ce n’est que justice pour un spectacle s’inscrivant dans le cadre des tournées CPA…

Il y a là aussi quelque chose qui me chiffonne un peu : vous semblez vous inquiéter (mais peut-être ai-je mal interprété votre article, et dans ce cas je m’en excuse par avance) de la proportion grandissante d’un public extérieur à la commune. Qu’un village discret et charmant comme Calas étende son rayonnement culturel sur l’ensemble d’une communauté de commune, je trouve cela plutôt réjouissant. Craignons-nous une invasion quelconque ? Rassurons-nous ! Il n’y a plus d’Empire romain – et Calas n’est plus gaulois.

Puisque vous me faites l’honneur de parler de mon travail, je me permettrai de répondre à vos remarques. Vous faites grand cas de ma pièce « Robert Président » en la comparant, ou plus exactement en refusant de la comparer (ce qui revient au même) à une représentation de Feydeau au théâtre de l’Odéon. A cela, de nombreux éléments de réponse.
          -    Je ne suis pas Feydeau (je n’en ai pas la prétention).
          -    La Bergerie de la Trébillane n’est pas le théâtre de l’Odéon.
          -    Nous nous inscrivons dans un cadre amateur. Nous travaillons deux heures hebdomadaires – la comparaison n’est donc, comme vous le dites, pas de mise. Et je m’étonne que vous l’ayez faite…
          -    Feydeau écrivait, en 1899 encore, dans un contexte de censure tout droit héritée du Second Empire. S’il moquait la bourgeoisie, il se devait de le faire en prenant certaines précautions oratoires. Aujourd’hui la censure est tout autre. Jean-Marie Bigard en est la preuve vivante.
          -    Vous parlez de parodie (enlevez « pseudo » : une parodie est une parodie, quand bien même elle n’est pas de votre goût). Feydeau n’est pas un parodiste, c’est un vaudevilliste. S’il fallait citer un auteur, c’eût été Alfred Jarry. Mais Jarry est peu joué, comme tous les auteurs issus de sa veine. Car Jarry, « Ubu-roi » notamment, est d’une très grande cruauté : ce n’est pas à la bourgeoisie qu’il tend son miroir, mais à la société dans son ensemble.
          -    Le terme « chantier » vous vient… de moi. Puisque c’est en employant ce jargon théâtral que j’ai annoncé la représentation. Nous en avions conscience, et peu en importent les raisons, même si je suis le premier à les déplorer. Il est aisé, de votre part, d’en user.
          -    Une parodie n’est pas écrite pour entrer dans les cases de la bienséance – ni thématique ni langagière. La grossièreté de la pièce est entièrement revendiquée, et dictée par le modèle de la vie politique française actuelle. Le jour où nos élus nationaux se comporteront avec décence, la parodie exigera d’être écrite en alexandrins, ce qui ne m’effraie absolument pas. Les débordements langagiers ne sont que la déformation d’une réalité hélas perceptible par l’ensemble de la société. Quant au « rouleau compresseur de clichés », comme vous aimez à le définir, il est lui-même compressé et entièrement remis en question dans le troisième acte de la pièce. Il est vrai que vous ne pouvez avoir la finesse de l’avoir remarqué, puisque vous êtes partie en plein milieu de la représentation, et avec suffisamment d’humeur pour que je le remarque. Preuve que nous ne sommes pas à l’Odéon…

Pour terminer, madame, cette longue réponse à votre article, je me permettrai de m’interroger (de nous interroger) sur sa dernière phrase. Je conviens que la culture n’a pas pour mission d’ « occuper ». D’ailleurs, l’occupation, vous en conviendrez, est un bien vilain mot, qui nous ramène à une époque dont la France n’a pas vraiment à se glorifier… La culture se situe plutôt du côté de la résistance, du côté de l’opposition, de la contestation. Opposition dont votre blog se veut à juste titre garant.

Vous finissez néanmoins sur une expression un peu trop angélique à mon goût : « La culture, c’est donner envie. » Le… « bon sentiment » que voilà ! Certes, l’envie, le désir, le plaisir sont des notions indispensables dans la problématique de l’accès à la culture (et il y aurait beaucoup à dire, à ce propos, sur l’allocation des budgets nationaux ou régionaux à certains rentiers qui, depuis des années, ne sont pas connus pour déplacer les foules – eux non plus). Mais concluons si vous le voulez bien sur l’extension logique de cette notion d’ « envie ». Envie de quoi ? De se goberger dans la contemplation des pagnolades diverses et de la cinq-cent-douzième Pastorale Maurel ? Envie d’éduquer, peut-être ? Envie d’interroger. Envie de faire évoluer notre « vivre ensemble » en tentant de faire abstraction de toute forme de corporatisme. Vivre ensemble, c’est bien cela, qui fait la culture dans sa définition la plus vaste. Prendre appui et tirer enseignement du patrimoine et de ses résurgences, certes oui. Mais pour progresser. Et la progression est parfois inconfortable.

Très cordialement,
Laurent Kiefer.



Publié dans Kiefer Show

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