Losers, méchants et vaniteux (1)

Publié le par Laurent Kiefer

Pourquoi Kiefer est-il méchant homme ?


1.
J'ai une fascination pour la méchanceté. Je précise : une fascination de témoin, pas de victime, il est totalement inutile de me couvrir d'insultes dans la vie réelle ou d'organiser des coups bas. Mon naturel méchant ressortirait et répondrait en pire. Ce serait l'escalade. Il y aurait des morts. Une guerre, un génocide
(1). Non, il s'agit d'une fascination pour la méchanceté de fiction.


Encore que, parler de fascination est tout à fait inexact. Je devrais plutôt évoquer un intérêt, qui soulève quelques questions. J'ai toujours eu une préférence pour les rôles de bad guy, par exemple. Il est vrai que je rejoins en cela la cohorte très majoritaire des comédiens qui trouveraient mille fois plus intéressant d'interpréter le nazi plutôt que le déporté, Diable plutôt que Dieu, Nicolas plutôt que Carla, Poutine ou Medevdev plutôt qu'une pauvre paysanne géorgienne (2). Pareil pour le cinéma ou la littérature. Les personnages les plus marquants sont presque toujours du côté obscur de la force. Je pourrais hasarder une explication qui vaut ce qu'elle vaut : on aime se mettre dans la peau des vilains pour mieux se conforter dans l'idée qu'on est de gentilles personnes. Ce serait donc cathartique ? "Ouf, je ne suis pas comme ça, moi, je suis un gentil, mais quand même, quel fameux salopard, ce J. R. Ewing, vivement qu'il revienne." Il y a comme ça des personnages qu'on adore détester. Doublement cathartique : de façon générale, celui qui a fauté est puni. Enfin, juste dans la fiction. Dans la réalité, on est tous de pauvres Russes montrés du doigt par des gens qui ne les comprennent pas. (3)

J'ai donc un goût certains pour la méchanceté mise en scène. J'insiste sur le caractère fictionnel parce qu'il est, je crois, prépondérant dans la société dans laquelle on vit, qui tend à abolir la frontière entre réalité et fiction. Je n'aime la méchanceté que lorsqu'elle est un jeu de miroir. De même, si je le suis parfois moi-même, ce n'est que par jeu, par goût du bon mot. Je demeure alors dans ce doux leurre qui veut que les mots ne tuent pas, que seuls les hommes le font. C'est ainsi que Hitler est un homme irréprochable : il n'a jamais tué personne ; il a juste donné quelques ordres mal interprétés. Voyez cette dernière phrase par exemple. Elle est méchante, réellement méchante et en conscience : elle blesse. Parce qu'elle se situe à une lisière où s'abolit également la frontière entre humour et révisionnisme. De là à dire que la fiction est réduite à l'humour (ah, Jean-Marie Bigard et Christian Clavier dans un film de Jean-Marie Poiré ! L'affaire Corse II...) et que notre réalité a une certaine tendance au révisionnisme, il y a un pas que nous n'oserions franchir.  (4) (Allez les enfants, on écoute la maîtresse et on prend la main de son petit camarade. Eh bien on l'imagine. C'est bien... Mohammed, veux-tu bien prendre la main de ton petit juif mort ? Sale petit bougnoul. Va au camp / au coin. Et emmène-moi Samuel, il encombre).

Mais je m'égare. En effet, que vient faire Christian Clavier dans cette page sur la méchanceté ? Lui par exemple, n'a jamais joué de méchant. Il ne joue que ce qu'il sait (peut ?) jouer : Christian Clavier. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle Nicolas Sarkozy s'est octroyé le fait du Prince dans L'Enquête Corse II : il a confondu réalité et fiction. Voyez comme tout cela est dangereux ! Vous imaginez un Président de la République Française faire des trucs pareils dans la réalité ? Mais on le qualifierait de dictateur ! Et on aurait tort, car après tout, c'est juste un geste de monarque. Il est donc dans son droit le plus strict, sachant que la Révolution Française est juste en pause. C'est cela aussi, la force de la fiction, que voulez-vous : Christian Clavier était tellement parfait en Jacquouille...



2.

Enfin, voici où je me place. Moi qui suis tout sauf méchant (je viens d'en donner la preuve), pourquoi ai-je une préférence pour les rôles qui le sont, pourquoi crée-je des personnages théâtraux (Mika) ou romanesques (Romain van Severen, Gaston Leroux)
qui n'existent que par leur méchanceté ? Et elle tient en quoi, cette méchanceté, qu'est-ce qui la caractérise ? Voici plusieurs chroniques du 27 dont le contenu est décidé d'avance...





(1) [Pardon, on ne doit pas dire ce mot là, ce mot qui sent la Pologne, le Rwanda et la Yougoslavie. Et rappelons qu'il ne faut surtout pas l'employer à propos de la Géorgie. Les Russes sont un peuple civilisé. Il doit y avoir un malentendu, quelqu'un aura abusé de vodka, quelque chose a dérapé. D'ailleurs de quoi parle-t-on, aucun mort ne traîne dans la rue en Géorgie, aucune femme n'a été violée. L'O.N.U. ne laisserait pas faire une chose pareille. Il doit y avoir une explication, un arrangement, du gaz naturel, quelque chose...]

(2) [Qui rappelons-le, était consentante. (La paysanne russe, certes, mais Carla AUSSI). C'est bien connu, les Géorgiennes sont des chaudes, elles n'attendent que ça. Il n'y a aucune violence en Géorgie, on nous ment, c'est de la désinformation, on tape sur le crâne à Poutine parce qu'il a une tête de vautour social-démocrate, c'est un délit de faciès. Les Russes n'ont rien fait, z'étaient pas là. C'est un complot. C'est dégueulasse, pauvres Russes. Feraient mieux de taper sur les Géorgiens. Qu'est-ce qu'ils foutent en Géorgie les Géorgiens ? Peuvent pas foutre le camp en Arménie ou dans un autre pays de génocidés à la con ? Incroyable ces sous-peuples ! Faut toujours qu'ils beuglent quand on les égorge. La vache Meuh-meuh, elle au moins, elle a de la tenue à l'abattoir. Y'a guère que le cochon pour hurler sans un minimum de savoir-vivre. Les Géorgiens sont les cochons du Caucase. Allez les Russes, sus à l'ennemi, dégagez-moi ces petits cochons Caucasien, et n'oubliez pas d'en faire du savon. Tout est bon dans l'cochon.]

(3) [Une preuve que Poutine est un incompris : qu'est-ce qu'il foutrait au poste qu'il occupe maintenant s'il était prouvé que Poutine est néfaste, les Russes sont en démocratie, ils ont le droit de le virer s'ils en veulent plus, non ? Une autre preuve, pour les plus sceptiques : vous imaginez vraiment, vous, qu'un homme aussi intègre que Nicolas Sarkozy irait s'enfiler un petit verre de vodka ou de chouchen avec un type d'extrême droite ? Et pourquoi pas taper la belotte avec Khadafi, tant qu'on y est ? Je nous en prie, restons sérieux.]

(4) [Trop tard ? ah damned, à force de déraper, il y en a qui ont fini en Géorgie... Vous savez, la Géorgie ? ... Mais si... le pays où il ne se passe rien. Ah, voyez...]

Publié dans Chroniques du 27

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