Libéralisme, je chante ton nom

Publié le par Laurent Kiefer

(Il faudrait que je pense à me racheter, à présent que je vais devenir multimillionnaire, un nouvel appareil photo numérique ou bien un nouveau téléphone portable puisque les 4G vont également pas tarder à  préparer le café et à sortir le chien à votre place, afin de fournir un peu de visuel sur ce blog bavard et fort peu visuel).

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Le narcissisme et le culte de l'ego étant considérés comme des valeurs gouvernementales améliorant le moral des ménages et le pouvoir d'achat des français, c'est moi (photographié par une femme politique anonyme), à Lourmarin en janvier dernier, pendant un baffrage de gauffres au caramel de beurre salé et/ou de crêpes double-suavité chocolat noir fondu / Nutella, juste avant que je n'aille pieusement, tandis que mes comparses dépensaient leurs calories dans l'escalade de massifs lubéronnesques, baver sur le chat de la maison dans une sieste commune mémorable. Depuis que mon chat est mort, je bave sur ceux des autres, avec un amour indicible et un art de la caresse qui frise tout à la fois poils et perfection.

Voici donc la chronique du 27 février, rédigée donc ce matin du 3 mars. Pour connaître les raisons de ce retard, se reporter à une date antérieure.

(Vous remarquerez également que je n'ai toujours pas fait livraison du dernier extrait de Vie sexuelle landaise. Je n'oublie pas mes engagements, ni le fait de devoir parler de ma rencontre avec Eric Fottorino et Christine Jordis, qui mériteraient une chronique chacun. Chaque chose en son temps. C'est qu'écrire un blog, cela prend du temps, surtout quand on a pour habitude de le dépenser en digressions diverses.)

Voici donc, après ce pre-scriptum, la chronique du 27 (février).




Que voulons-nous ? Que veut ce bas-peuple donc nous sommes (que les lecteurs d’ascendance noble veuillent bien me pardonner cet usage du ‘nous’ cavalièrement inclusif) ? Nous voulons travailler plus pour gagner plus. Nous voulons un pouvoir d’achat fort. Nous voulons le Règne de l’ordre. Nous voulons consommer dans la paix et le bien-être pansu. Dieu, présent en toute créature et même en Gnafron, nous l’a fait savoir par la voix du Prophète. Et que ceux qui ne croient pas en ces dogmes se cassent, pauvres cons. Nous aspirons à faire redécoller l’économie de notre pays. Nous aspirons à ce que nulle femme ne prenne jamais plus la direction du Medef, parce qu’ensuite c’est compliqué à comprendre, ce qui se passe entre ces dieux de l’Olympe moderne – nous manquons de discernement, nous ne sommes pas de cette Race élue.

Mes bien chers frères, mes très chères sœurs, en vérité je vous le dis : j’ai pêché. J’ai, tel Icare, voulu m’approcher du Soleil. J’ai voulu, pauvre créature sortie de la fange du salaire net mensuel à 400 € dans les mois fastes (1), connaître dans mon Corps Bancaire, l’Incarnation de la Lumière Libérale. J’ai pêché par l’Envie. J’ai pêché par la Faim. J’ai pêché par le Matérialisme. Je suis le nouveau martyre de la contemporanéité, mes frères, mes sœurs, je suis Celui par qui le mal descend sur la Face de l’homme. J’ai pêché par l’Assedic.

J’ai voulu entreprendre. J’ai voulu travailler plus pour gagner plus. Le confesseur de l’ANPE me dit en sa mansuétude : ‘Cher frère qui cotisez aux deux Cultes Assedic (obédience Générale et obédience Intermittente, car mon cœur est Amour, j’aime donner sans recevoir, c’est ma Foi), vous qui souhaitez entreprendre, vous devez attendre que les Assedic éclairent votre ASS (2), à laquelle vous n’avez pas droit, certes, mais vous devez attendre avant de prétendre à l’ordination de l’ACCRE (3), que le Grand Temple Assedic vous confirme qu’il ne vous doit rien.’

J’attends donc, avec piété, la réponse du Grand Temple. Je cherche en mon Corps Administratif : Certificats de Travail, Fiches de paie, Avis de non-imposition, dont je copie les termes et les enluminures avant dans les envoyer au Grand Temple des Assedic. J’attends. Mes deux kilogrammes de dossier me reviennent par coursier postal : le dit dossier est incomplet. Il y manque une feuille. Une feuille. Je trouve la feuille. Je renvoie la feuille accompagnée de mes deux kilos de dossiers. J’attends. Au bout de sept jours de voyage postal (j’avais investi dans un port rapide), mes deux kilogrammes d’enveloppe tombe, poussiéreuse et crottée, sur la tablette d’un prêtre des Assedic, le 13 février de l’an de grâce 2008.

Entre le 20 et le 25, je tente de joindre le Grand Temple pour savoir combien de temps leur prendra leur refus. Je tombe sur une prêtresse qui me dit : ‘Nos services sont actuellement indisponibles. Notre standard est ouvert du lundi au jeudi de 8h30 à 15h30, et le vendredi de 8h30 à 8h40’. Nous sommes lundi, il est midi. Je rappelle mardi à 13h, je rappelle mercredi à 9h. Toujours la même prêtresse, répétant dans sa transe mystique son infinie prière. Je ne puis l’interrompre. Le 28 février enfin, j’appelle une nouvelle fois le Grand Temple. La prêtresse en question est probablement morte. Une autre me répond, elle entre en communion avec moi. Je lui dis : ‘Oh prêtresse des Assedic, je voudrais savoir où en est la demande d’ASS que vous allez me refuser.’ L’admirable sainte me répond : ‘Nous venons de transmettre votre dossier à la Cathédrale de la DDTE (4).’ Je demande comment entrer en contact avec cette Eglise jusqu’alors inconnue.

J’appelle la DDTE. Un prêtre guerrier me répond : ‘Je n’ai pas reçu votre dossier.’ Je le rassure, et moi avec, en lui disant qu’il l’aura probablement entre ses mains pieuses le lendemain. Je lui demande combien de temps prendra son refus. ‘Nous allons examiner votre dossier, dans un délai de quinze jours ; vous serez convoqué pour la quinzaine suivante ; puis nous méditerons un mois avant de vous donner une réponse, enfin nous transmettrons cette réponse au Grand Temple des Assedic qui vous l’enverra de notre part.’ J’ose un : ‘Mais je sais que vous refuserez ma demande, je ne suis pas assez croyant, je n’ai pas assez travaillé pour avoir droit à cette allocation. Pourriez-vous m’envoyer votre refus, j’ai besoin de votre refus pour me lancer dans la création d’entreprise. J’ai besoin de votre refus pour travailler. Je vous conjure de ne RIEN me donner pour prétendre à travailler plus pour gagner plus.’ Le prêtre guerrier, magnanime et pragmatique, répond : ‘Il faudra patienter. Patience et méditation.’ Moi : ‘Je mange comment, en attendant votre refus ?’ Lui : ‘Parce qu’en plus vous mangez ?’

C’en est trop. Toutes ces Eglises me rendent chèvre. Je demande à ce qu’on me refuse l’ASS pour pouvoir faire une demande d’ACCRE et facturer mes services en toute légalité. Je demande un refus. On me refuse mon refus… C’est bête à en lécher le caniveau.

J’ose appeler un autre prêtre de l’ANPE. Une obédience Cadre. Je ne sais pas exactement pourquoi mon instinct me fait m’adresser à un nouveau prêtre et pourtant, je le fais. Celui-ci sort de prière, il est serein, on sent qu’il aime son ordre. Je lui expose mon cas. L’ASS, la demande d’ACCRE, l’attente, mon impatience, ma faim, le refus de mon refus. Le prêtre me dit : ‘Pourquoi attendez-vous la réponse de l’ASS ?’ Je lui dis : ‘Parce que le prêtre de l’ANPE non-cadre (obédience péquin) m’a certifié qu’il valait mieux l’attendre.’ Lui : ‘Tout ce que pourraient faire les Assedic, c’est de vous refuser une ASS que de toute façon vous n’obtiendrez pas, ils ne peuvent pas interférer sur la demande d’ACCRE.’ Moi : ‘Pardon ?’ Lui : ‘Créez votre entreprise quand bon vous semble, et demandez l’ACCRE au même moment’ Moi : ‘Vous êtes sûr que l’ACCRE ne me sera pas refusé ?’ Lui : ‘Je ne suis sûr de rien, mais l’ACCRE n’étant pas géré par les Assedic, je ne vois pas pourquoi on vous a conseillé d’attendre…’

Cinq heures plus tard, mon entreprise était créée, avec une simplicité enfantine, sur l’admirable site Internet de l’Eglise Lumineuse de l’Urssaf, ma demande d’ACCRE jointe à ma déclaration. Voilà.

Je suis travailleur indépendant. Je pratique une profession libérale d’animateur d’atelier de pratique théâtrale.

Toute ressemblance avec des Eglises existantes serait totalement fortuite. Tout est fiction.

Que voulons-nous ?

Survivre. Et notre tâche est d’une telle simplicité…

(1)    Pour celles et ceux parmi vous, sœur et frères salariés, qui ne regardent que d’un œil éteint le détail des saintes écritures de leur bulletin de salaire, 400 € net, c’est également 400 € distribués à diverses Eglises (gloire à vous Assedic, Ursaff, Formation Continue, CSG, CRDS, CSAG (Contribution Solidaire à l’Augmentation de Gnafron), gloire à toi Accident du travail, gloire à toi Médecine du travail. Retraite : que ton nom dont je ne connaîtrai jamais les bienfaits puisque je serai probablement mort avant d’avoir la Révélation de ta Face, soit loué). 400 € pour moi, 400 € pour l’église, c’est équitable. Equitable est une autre acception de la notion de décence.  
(2)    Allocation Sociale Solidarité ou dans un autre ordre…
(3)    Aide à la Création et à la Reprise d’une Entreprise (vous vous demandez pourquoi il y a deux C ? Parce que les prêtres du grand Culte de l’Administration Française doutent douloureusement dans leur corps de l’accent usité pour écrire ‘âcre’, et ce, chaque jour que Gnafron fait). L’ACCRE permet aux jeunes diacres des Professions Libérales d’être exonérés de charges sociales (vous savez, cette décente équité), pendant douze mois.
(4)    DDTE, pour Direction Départementale du Travail et de l’Emploi. Une Eglise qui laisse songeur : on pourrait donc travailler sans être employé et inversement ? L’ex-Président du Medef doit vénérer la DDTE.

Publié dans Chroniques du 27

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